AA-Francophonie
Groupe des Alcooliques Anonymes
tenant des réunions fermées par courriel
sur le mode de vie, les étapes et les Traditions
Bonsoir mes aami-e-s. Je m'appelle M-C, et j'ai... un an d'abstinence. Pour moi, c'est cet âge-là
qui compte!
Il y a un an aujourd'hui je décidais que c'en était assez. Moi et l'alcool, ça n'allait plus du tout. Je
venais de passer un temps des Fêtes dans les conflits et la déprime, j'avais la larme à l'oeil
quotidiennement, tout me paraissait tragique. Je trouvais tout difficile, tout injuste, tout
m'angoissait. J'avais une peur bleue de l'avenir. Mais surtout, je me rendais compte que j'avais
complètement perdu le contrôle de ma vie, et de ma consommation d'alcool. Enfin, l'avais-je jamais
eu? Je croyais que oui, aujourd'hui je pense que non.
Quand je me rappelle mes premières cuites, ça remonte à très très loin. Il me semble que dès la première
fois que j'ai bu de l'alcool, j'en ai trop bu. Je me souviens, un soir du temps des fêtes. Je devais
avoir 14, 15 ans. Je faisais partie des plus vieux qui avaient le droit de prendre une bière ou un verre
de vin. Tout de suite j'ai voulu en prendre plus, pour voir. Je me rappelle avoir été dans le bar, sans
que personne ne me voit, et avoir rempli un verre à jus de scotch, ou de rhum, je ne me souviens plus.
J'étais allée faire cul sec dans la salle de bain. Beurk!!! Et le temps que je rince mon verre et que
je me brosse les dents, tout ressortait dans la toilette. Je me rappelle que j'avais été étonnée.
Même en ayant tout rendu, j'étais saoule! Personne ne s'en est jamais aperçu. Tout le monde faisait la
fête. J'ai dû aller me coucher très tôt, ce soir-là.
Dans ma famille, il n'y avait pas d'alcoolique. Du moins c'est ce que je croyais. Sauf une tante, mariée
au frère de mon père (donc parente par alliance, c'était pas pareil). Elle faisait une folle d'elle dans
les réunions familiales. Elle était la honte de la famille. Autour d'elle il y avait toujours des messes
basses. Pour moi, être alcoolique, c'était être comme elle. Aller dans des fêtes, me mettre à parler
avec une patate chaude dans la bouche, à tituber. Disparaître avant tout le monde... Et le pire de tout
: susciter la pitié, faire honte aux siens.
Autre souvenir : j'allais souvent faire des courses à l'épicerie pour mes parents. Je me souviens qu'un
jour, le livreur préparait sa commande pour une vieille dame seule qui habitait pourtant tout près. Une
caisse de six bières, plus un gros paquet de cigarettes «king size», des Export A, les plus fortes. Le
livreur racontait à un autre client qu'il allait TOUS LES JOURS, vers 5hrs, livrer bières et cigarettes
à cette dame. Je me souviens m'être dit que c'était affreusement triste, cette histoire, et tellement
pathétique. J'étais toute jeune. Je n'aurais jamais imaginé qu'un jour, moi aussi, je boirais tous les
jours. Et pas que six bières. Vers la fin, c'était sept, puis huit, plus du vin, souvent. Où en serais-je,
aujourd'hui, si je n'avais pas arrêté? Douze? Plus? Je ne veux même pas y penser.
Pourquoi ai-je bu? Pourquoi moi, et pas mes soeurs, ni mes frères? Je ne venais pas d'un milieu difficile,
ni pauvre, ni particulièrement éprouvé par la vie. J'avais des parents qui nous aimaient, même s'ils nous
aimaient parfois mal. Pourquoi? Je me suis creusé la tête, en vain. Je sais seulement que j'étais
hypersensible. Sensible à la puissance mille. Très jeune, je ne savais même pas ce que ça voulait dire,
mais je me souviens que ma mère me le répétait. «Tu es tellement sensible!!! » À mes oreilles ça sonnait
comme un reproche. Qu'est-ce que ça voulait dire? Qu'est-ce que j'avais de pas normal? Je pleurais quand
les autres avaient de la peine. Les conflits me terrorisaient. J'avais les émotions à fleur de peau. Mes
peines étaient immenses et douloureuses, je trouvais ça insupportable. Mais mes joies, par contre, mes
bonheurs étaient très grands.
Plus tard, quand quelqu'un, dans une réunion AA, a parlé de l'alcoolisme comme étant «la maladie des émotions»,
j'ai acheté ça. Car je me reconnaissais tout à fait dans ce diagnostique. Quand on est hypersensible et
qu'on a mal, on a très très très mal. Pas étonnant que l'on veuille à tout prix endormir cette douleur.
L'alcool, à cet égard, faisait très bien le travail. C'était accessible, abordable, on en trouvait partout,
ça n'était pas illégal.
Je ne peux pas vous dire exactement quand ma consommation d'alcool s'est mise à devenir problématique,
tout s'est fait très graduellement. C'est insidieux, l'alcool. J'ai commencé par être une «bonne buveuse»,
j'était «one or the boys», je supportais bien l'alcool, dans les partys j'étais boute en train, toujours
l'une des dernières à partir, etc. Mais il m'est arrivé quelques fois d'aller trop loin, et d'avoir
honte le lendemain. Comme j'étais (et je suis encore, mais je travaille fort là-dessus) immensément
orgueilleuse, j'ai réussi à modérer ma consommation lors de sorties et de rencontres sociales. Quand
j'étais seule à la maison, par contre.... Je ne voulais pas que l'on me sache alcoolique, il n'était tout
simplement pas question que mes amis, ma famille soupçonnent quoi que ce soit, je ne tolérais pas cette
idée. J'ai donc réussi à tout cacher. Mais par une espèce d'effet pervers, dans mon esprit malade, si
les gens ne savaient pas que j'étais alcoolique, ça voulait dire que je ne l'étais pas. Comprenne qui
veut!!! Je suis pourtant, il me semble, moyennement intelligente!
Je dissimulais tellement bien mon problème que je suis arrivée à me le cacher à moi-même. Petit à petit,
évidemment, j'ai fui les sorties où je savais que je ne pourrais pas boire à mon goût. Comme mon chum
avait un travail qui lui prenait énormément de temps, je passais beaucoup de soirées seule à la maison.
Je me suis repliée sur moi-même. Je me suis isolée. Je me suis enfoncée dans cette solitude. J'étais prise
à mon propre piège. À la fin, mes journées se résumaient ainsi. Dans l'après-midi, je commençais à penser
à faire mes provisions pour la soirée. J'allais faire les courses, j'achetais de la bière (un «six pack»),
et accessoirement, de quoi faire le souper! Au retour, je faisais un détour par le dépanneur, ou j'achetais
un autre «six pack» identique. Ainsi (je l'ai déjà raconté, pardonnez moi de me répéter!), j'étais sûre de
ne pas manquer de bière, car ça faisait déjà longtemps que six bières, ça n'étais pas assez. Je cachais les
autres bières dans la cave. Vers 17h30, 18hrs quand j'étais capable, j'ouvrais ma première bière, que je
buvais en préparant le souper. Et là ça descendait vite. Vers 20hrs, j'étais déjà passablement éméchée
(mais je ne sais pas pourquoi, ça ne «paraissait» jamais, je suis bâtie solide). Mes six bières du frigo
d'en bas étaient bues. Quand mon chum revenait à la maison, j'avais déjà entamé celles du frigo d'en haut,
mais s'il en manquait une ou deux, pour lui, ça ne posait aucun problème. Par contre, il s'étonnait qu'à
21h30, 22hrs, très souvent, je ronflais comme un bûcheron. À 3hrs du matin, l'angoisse me réveillait.
J'ouvrais les yeux dans le noir, j'avais l'estomac à l'envers, la tête dans la brume, le coeur serré,
je me disais que j'étais folle, que ça ne pouvait plus continuer, que je devais arrêter ça, que je gâchais
ma vie. Le lendemain, je me réveillais nauséeuse et même pas reposée, et je me disais j'arrête. Demain,
j'arrête. Ou après-demain. Promis. Et vers le milieu de l'après-midi, ça recommençait.
Que de cachotteries, que de manigances, de plans pas possibles, de ruses, ces dernières années, toujours
pour cacher aux autres que je buvais trop. Quand la bière ne suffisait pas, c'était le vin (j'achetais
les bouteilles en double, l'une sur la table, l'autre sous le lavabo). Je vivais dans la terreur d'être
découverte. Dans la crainte qu'on découvre mes caches. J'inventais toutes sortes de façons d'effacer mes
traces (bouteilles enveloppées dans le papier journal avant d'être jetées aux ordures, pour éviter les
«gling gling» qui m'auraient trahie. Bières enfilées dans la salle de bain, avant de partir à une soirée,
pour être sûre que j'avais un «fond». J'en passe, ça serait trop long. Mon Dieu, quelle vie!!! Quelle
absurdité, quand j'y pense.
Il y a 5 ans, j'ai appelé ma belle-soeur, AA depuis peu, pour lui demander de l'aide. Elle est venue chez
moi, m'a apporté le Vivre sobre, m'a amenée en réunion. J'ai fait peut-être trois mois. Puis je me suis
éloignée des réunions au cours de l'été, et hop, je me suis re-joué le coup de la pas pareille qui est
capable, elle, de prendre sa consommation en main. Après, mon orgueil piqué au vif, je n'ai pas été assez
intelligente pour retourner en AA. Je me suis re-isolée, re-emmurée dans ma solitude. J'ai re-bu toute
seule, et de plus en plus. J'ai eu peur de moi. J'ai eu peur d'être malade, de n'être plus soignable, de
me retrouver à l'hôpital. Il a fallu que j'aie une véritable frousse pour que mon orgueil, enfin, se taise,
et que je revienne frapper à la porte des AA via le groupe Francophonie. C'était il y a un an.
Aujourd'hui, j'ai encore beaucoup de chemin à faire, je suis encore hypersensible, orgueilleuse, mais JE
NE BOIS PAS.
Alors il faut bien que je trouve des façons de vivre les émotions sans me laisser submerger, de vivre sans
alcool, quoi. Je ne suis pas avancée dans mes étapes. Je valse encore au rythme des trois premières. Mais
je suis plus patiente, plus tolérante envers moi-même, et par le fait même, envers les autres. Je ne suis
plus fâchée d'être alcoolique.
Aujourd'hui, je me dis que si je n'avais pas été alcoolique, je n'aurais pas connu ce programme qui m'aide
dans tous les autres domaines de ma vie.
Voilà!
M-C, Alcoolique, Abstinente, Aujourd'hui et Heureuse.